À un homme bon (Pour Éric)
Le jour où tu étais passé nous voir, au printemps dernier, je dois t'avouer que je ne souhaitais pas de visite. Déjà habillée en mou, affalée sur le divan élimé par les griffes de la chatte, je me préparais pour la "tête à off".
- Mon frère va passer nous faire un coucou, m'a dit mon homme.
À ton arrivée, j'ai traîné au téléphone avec une amie, laissant ton frère se charger de l'accueil.
- Ça a l'air sérieux votre affaire, ai-je dit avec en entrant finalement dans la cuisine.
- Éric est venu nous dire qu'il a le cancer.
Il n'y avait rien à ajouter.
Le lendemain, sur le chemin du travail, un arc-en-ciel d'hiver, sans pluie, sans orage, juste pour la beauté de ses couleurs, s'offrait à ceux qui prenaient le temps de le regarder.
C'est certain, j'ai pensé à toi.
Cet été, amaigri, tu as invité toute la famille à venir camper pour la fin de semaine!
- Éric, tu es certain que tu veux quand même faire ça? Ça va faire beaucoup, tout ce monde chez toi. Tu as sûrement besoin de te reposer...
- On le fait.
Tu nous as tous accueillis, comme si rien n'était.
Nous t'avons offert les rires dont tu avais tant besoin. Dans la beauté de ta campagne pleine de fleurs, je garde un souvenir impérissable d'une partie de pétanque, d'un feu de camp avec guimauves grillées avec soin, de ton fils qui s'éloigne pour laisser couler ses larmes, de ta mère et de ton père qui jouent le jeu, de ta belle Annie qui te suit du regard et du geste, prête à tout pour t'accompagner dans ce voyage, de nous tous venus en renfort d'amour.
Deux jours plus tard, tu quittais ta maison pour l'hôpital.
La semaine dernière, tu as souhaité revenir chez toi. Annie a remué ciel et terre pour que ça se fasse, un dimanche, faut vouloir. Elle voulait. Pour toi, elle dormait des nuits sur la corde à linge dans une chaise d'hôpital depuis des semaines.
Le lendemain, le lundi, tout le monde, toute la famille est passée te saluer, te dire de toutes les manières qu'on t'aimait.
Tu es mon chouchou. Y'en a qu'un pour faire des cartes à Noël en imprimant une de ses photos de voyage, où tu pose fièrement avec ta douce à tes côtés dans un soleil qui éblouit ou qui se couche, au somment d'une montagne que vous avez grimpée pas à pas, pour y ajouter une phrase songée qui nous fait du bien sans se prendre au sérieux, pour finir avec un bon d'achat universel fixé par un papier collant.
Toute une montagne que tu viens de grimper.
Tout un soleil que tu regardes.
Ta souffrance est terminée.
J'aurais aimé te demander si la mort te faisait peur.
J'aurais aimé te raconter mon amie Nancy qui l'attendait avec joie pour se fondre dans la Lumière.
Pour te rassurer, si c'était possible.
Repose en paix toi qui a aimé et qui a été aimé.
Éric Couturier
20 février 1971 - 2 octobre 2017
Photos de Michelle Courchesne