8 avril 2024, éclipse totale de soleil
La terrasse usée
Se couvre de croissants gris
Ombres multiples
Les cardinaux rouges
Noirceur en pleine journée
Inquiets, s'égosillent
Le lampadaire brille
Dans une nuit improbable
Les enfants hurlent
Ça n'arrive pas tous les jours qu'une éclipse passe dans sa cour.
En fait, ça arrive une fois par vie, ou pas.
Toutes les personnes se situant dans une bande diagonale de 185 km de large passant par les Îles Revillagigedo dans le Pacifique, allant vers le Mexique, remontant les U.S.A. jusqu'aux lacs Érié et Ontario, frôlant Montréal, l'Estrie et continuant son long ruban d'obscurité dans les provinces maritimes, pour arrêter d'être perceptible quelque part dans l'Atlantique, peut-être sur le Grand A de Philémon (https://www.dargaud.com/bd/philemon), pouvaient assister à cet évènement spectaculaire.
Chez moi, l'éclipse a duré 2h22 et 16 secondes, dont 3 minutes et 16 secondes de totalité. https://www.timeanddate.com/eclipse/in/@5951643?iso=20240408
Je n'avais pas envie de me mêler à une foule excitée, intoxiquée, musicalisée à fond la caisse pour participer à ce rendez-vous cosmique. Il réclamait le tête-à-tête. L'escalier menant au deuxième étage du vieux cabanon a servi d'observatoire. En y montant, j'ai croisé ma voisine qui se préparait, elle aussi, à assister au spectacle. Petit bonjour de circonstance, confidences de belle jeunesse à belle vieille aux oreilles appelant l'écoute, mots d'apaisement et je m'installais au soleil, mon repas de lève-tard sur les genoux. Armée de mes lunettes opaques, je scrutais les signes de la présence de la Lune; sans elles, je n'aurais rien remarqué jusqu'à quelques secondes avant l'obscurité complète. Le soleil printanier brillait de mille feux.
Un minuscule croissant noir, en bas à la droite de la sphère brillante, se dessinait dans l'image vue à travers les lunettes presque opaques. Les lunettes enlevées, ne restait qu'une belle journée de printemps ensoleillée. Une bouchée de riz aux légumes et je remettais mon accessoire obligatoire: la Lune avait continué d'entamer le disque doré, elle remontait en oblique vers le haut, à gauche. Tranquillement, les oiseaux se sont mis à chanter comme à la tombée du jour, trompés par l'obscurcissement graduel qu'ils percevaient plus rapidement que moi. Puis, ce fut l'ombre sur la terrasse qui s'ornait de croissants, comme me l'avait annoncé un site spécialisé. Je commençais à sentir la température se rafraichir et une pénombre arriver à une heure inhabituelle.
Subitement, ce fut complet. L'apogée de mon éclipse s'est déroulée à 15h28 et 20 secondes. Le lampadaire de la rue s'est allumé. Le ciel est redevenu transparent et Vénus est apparue. Plus aucun oiseau ne chantait.
Le silence frisait l'impossible, brisé par les quelques cris de joie des enfants du voisinage. Nous sommes peu de choses.
À la fois enfant et sexagénaire devant la disparition du soleil qui se déroulait, la révérence et la contemplation, mêlées d'ébahissement, m'ont laissée sans mots.
La sensation d'être entrée, pour quelques minutes, au coeur du sacré.
© Michelle Courchesne, texte et photos
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