Havre-Saint-Pierre, Minganie, Côte-Nord , 50° 14′ nord, 63° 36′ ouest
Happée par la mer, je suis allée découvrir les nouveaux lieux de mon amie Hélène. Elle s'est déracinée pour prendre le large, faire face à la mer, couler dans son désir profond de la vague qui renouvelle, qui nettoie, qui fascine, jamais pareille, toujours infinie.
La Côte-Nord se mérite. Deux jours pour se rendre à Havre-Saint-Pierre, loin de tout, au centre du Monde. Première étape: se rendre à Matane et dormir au motel. De là, le traversier nous transborde, mon amie Francine et moi, jusqu'à Baie-Comeau, ensuite encore de la route, de la route, de la route. Les conifères se font petits, les villages s'amenuisent et s'écartent les uns des autres, toujours face à la mer. "Vous reviendrez!", me disait la dame du dépanneur, "Ici, nous sommes toujours en vacances!". En face, les vagues poussaient la rive, trop occupées pour se savoir admirées.
En arrivant chez Hélène, un peu saoulée par le défilement de la Beauté et le bercement du moteur, sa maison, que j'avais vu en visite-vidéo, me semblait plus petite, incongrue, étrangère. J'y flottais, incertaine, mais je fus peu à peu rassurée d'y voir des objets, des meubles connus, d'y voir Hélène, sourire fendu jusqu'aux oreilles, si fière d'avoir réalisé son rêve. Au fil des jours passés chez elle, à dormir dans le silence, à partager des repas de générosité et de saveurs, à marcher vers la mer (Juste là!), son nouveau cocon s'est élargi de nos rires, de nos tchin tchin, de nos complicités. Sa maison a pris la dimension d'un palace et la simplicité d'une pataterie. (D'ailleurs, ses frites valent deux jours de route juste pour y goûter!)
Hors saison, nous sommes en tête-à-tête avec la nature. Les cayens et les cayennes sont de fiers descendants de l'Acadie. Leur rapport à l'eau et à la chasse coule dans leurs veines. Dans le territoire que les Innus partagent avec eux, nous touchons au Mystère.
Dans le bateau à moteur d'un ami d'Hélène, sur une mer d'huile, entourée de mes amies, j'ai mis mon chapeau de laine verte et nous sommes parties vers l'Île Quary, l'Île Niapiskau et la Petite Île au Marteau. Dans la vitesse du bateau et la lenteur de l'horizon, des larmes coulaient. Émotion ou vent? Je ne saurais dire. Sur les îles, nous étions seuls à marcher dans le silence, au milieu de la flore locale, surprenante à mes yeux. Les sculptures de rochers, magistrales, indifférentes à nos pâmoisons, ignoraient notre minuscule présence éphémère.
Le Mystère des lieux inspire les poètes. Du village de Natashquan, Gilles Vigneault (1928-) a écrit plusieurs de ses chansons. À Havre-Saint-Pierre, Roland Jomphe (1917-2003), décrivait en poésie le regard bienveillant qu'il posait sur la vie qui l'entoure. Écoutez ce documentaire présenté par Radio-Canada, à l'émission Second Regard, en 1997. Roland Jomphe évoque sa vie, récite quelques-uns de ses poèmes et, à 8:40, plus particulièrement celui de "La goutte d'eau". Seulement de l'amour dans son regard.
Francine avait rendez-vous avec Chantal Harvey, une artiste graveure du coin, à Baie Johan-Beetz. Dans la maison que Chantal a construite elle-même avec son amoureux, elle a déployé les feuilles de ses gravures sur bois, riches de la vision qu'elle porte sur les paysages qui colorent son quotidien depuis sa jeunesse. En retournant vers Havre-Saint-Pierre, avec une amie qui nous faisais découvrir son coin de pays, je voyais les conifères, les roches, les tourbières et la mer avec les yeux de Chantal. Ça vibrait!!!
Comment décrire mieux tous ces lieux que ne le fait le Frère Marie-Victorin?
"...un front de granit rose barré seulement du sourcil grisâtre des lichens, front têtu contre qui la mer froide et bleue amène du large, inlassablement, des légions de béliers blancs; ... ...un ciel admirablement lumineux où règnent les brises froides de l’Atlantique ou les vents de terre chargés des âpres parfums de la toundra artique; ...enfin, derrière l’horizon bas, un désert sans fin, sans relief, qui fuit vers le nord vide: ce sont bien là semble- t-il les lignes maîtresses de l’image de la Côte-Nord." Extrait de: Le carnet du sauvage par le R.Fr.Marie-Victorin, des E.C (1926)
Tiré du site de Chantal Harvey, artiste graveure
Après les accolades qui ne voulaient pas finir et les au revoir répétés à Hélène, il a fallu la douceur de Charlevoix et la vie artistique de Baie-Saint-Paul pour accepter l'éloignement. Revenir à la maison signifiait redescendre sur terre.
Clin d'oeil mystique, j'ai laissé là où je l'ai trouvé le caillou qui disait: "Tout est l'amour (L'amour est tout)" Le mystère n'est pas à garder pour soi mais à partager.
© Texte et photos de Michelle Courchesne
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