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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

L'amitié



Le vent agite les feuilles, seule sur la terrasse de ma maison rose, présage d'automne. La chaleur des derniers soubresauts caniculaires et le vrombissement des tondeuses engourdissent la volonté, chacun profite à sa façon de cette fin de semaine de trois jours. Mon jeune voisin fait brûler du bois dans la cour d'à côté. Je l'enjoins à y placer une grille pour éviter les étincelles pyromanes, si vite arrivées.


Ma vieille chum à la jeunesse éternelle passe trois semaines au Québec qu'elle a quitté il y a vingt ans pour suivre son amour jusque dans le sud de la France. Ses visites se remplissent toujours de chansons, de soupers arrosés, de rires et de souvenirs. À chacun de ses séjours, nous retrouvons le cours de notre histoire, intime, au coeur du sujet, bienveillante et joyeuse; nous récoltons un nouveau lot de tendresse partagée.


Pourtant, l'amitié s'interrompt parfois en milieu d'histoire. La page se tourne à notre corps défendant. On la croyait installée à demeure, confortable, partagée et, pour un imbroglio inexplicable, une phrase assassine égarée, un oubli à moitié coupable, une peccadille microscopique, l'amitié éclate en lambeaux, en sanglots, en miettes. Recoller les morceaux s'avère une tâche titanesque, d'autant plus que les heures de larmes intarissables nous préviennent de nous tenir loin de ce terrain miné qui a succédé aux belles heures.


Perdre une amitié relève de la perte de repères. J'ai pleuré plus fort et plus longtemps à la dissolution de l'une d'elles que lors de mes amours mortes. Il y aura toujours, du moins l'espère-t-on, un nouvel amour qui croisera notre route, tôt ou tard, mais qui remplacera l'ami.e perdu.e ? Il faut tant de temps pour tisser des liens, que le coeur, ce muscle involontaire (Monique Proulx), se braque, même s'il garde, incassable, le fil ténu et vibrant de ceux et celles que l'on a aimé d'amitié.


Alors, j'accueille celles et ceux qui partagent mes jours, en trois dimensions, bien réels, dans le décompte de mes heures. Je les nourris de festin et de rires, d'oreilles attentives et de bras consolants car je veux conserver nos liens, jardiner nos plantations, bichonner nos escapades et faire vieillir nos bonnes bouteilles (Si nous ne les avons pas bues avant!)


(J'espère qu'ils ne m'en veuillent pas de m'être retirée, pour quelques heures, seule, pour parler d'eux.)




 

© Texte de Michelle Courchesne, photos de Michelle Courchesne (Tissu) et Benoît Couturier (Mains)

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