top of page

Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

Temps d'arrêt

Une amie s'est arrêtée, en suspension, le temps de le dire il était temps de partir.


Elle raconte ça tout bonnement, sur VisageLivre, comme si rien n'était, comme si elle nous disait qu'elle avait oublié ses clés à la maison. Elle traversait la rue glacée, le matin, préoccupée par quelque obligation stressante à venir, la tête ailleurs.


La-Tête-Ailleurs est un pays très fréquenté dont la visite ne requiert aucun passeport ou aucun visa compliqué à obtenir. Je m'y retrouve souvent, ou plutôt, je m'y perds, ne sachant plus où est mon billet de retour, sur quelle ligne d'autobus ou quel numéro de vol le départ aura lieu. Le trajet pour se rendre à l'aéroport dure toujours et ne se termine jamais, éternellement à recommencer.

Une seconde d'inattention et, BANG!, mon amie roulait dans les airs, propulsée par le choc de la voiture qui n'avait pas pu l'éviter.


Là, au moment où tout aurait pu s'arrêter, elle était prête à tout arrêter, si c'était là que l'arrêt se faisait. En suspension dans les airs, elle vivait "une acceptation TOTALE de l'instant présent ". Oui, à l'accident. Oui aux séquelles physiques possibles. Oui, à la fin de sa vie. Oui. Elle n'a plus la tête ailleurs. La singularité exceptionnelle de ce moment particulier lui apparaît dans toute sa splendeur. Elle raconte:


"Ce qui est maintenant très intéressant est que, quand j'ai été surprise par l'impact de la voiture et que j'ai constaté que MOI je vivais un accident, je me suis dit: ok. Voilà. Ça t'arrive. Tu es frappée violemment par une voiture. Je me suis réellement transformée en témoin ! Sans effort! Ma deuxième pensée: Accepte! Vis cela! Tu seras peut-être handicapée, légume, mais c'est cela ! Hyper zen ! C'est fou ! Le summum de ma pratique quotidienne ! Facilement. J'ai laissé mon corps entrer dans le mouvement. Et devinez? Après une journée à l'urgence et une batterie de test: rien... nada... Plusieurs ecchymoses, égratignures et douleurs. Sans plus. Pas de cassures, pas de fêlures, pas de commotion. Irréel! Depuis mercredi, je dis merci à la vie."

Moi, je dis merci à cette amie! Elle nous sort tous de La-Tête-Ailleurs. Elle me sort de mes marmonnages familiers, de mes évasions dans le Cyber-Espace aux couleurs intenses et à éclairage de fond d'écran. Elle ressort les chocolats chauds crémeux, les crissement des bottes sur la neige, le rose du jour qui rechigne à aller se coucher, les cheveux longs et libres de mes filles, l'obstination attentionnée de mon homme.


L'année s'achève bientôt. Le temps s'achève plus vite que l'on pense.


Avant de tourner de l'oeil, ouvrons les yeux.


Merci à I.-L. H.

 

Texte et photos de Michelle Courchesne


Archives
Rechercher par Tags
bottom of page