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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne
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Fanfreluche

  • michellecourchesne
  • 19 janv.
  • 4 min de lecture

Elle a tiré sa dernière révérence.

Avec un sourire espiègle et la légèreté naïve d'une ballerine de 5 ans, elle est entrée une ultime fois dans son grand livre d'images, dans sa boîte noire où tout peut arriver; sauf que le cyclo bleuté du studio de Radio-Canada s'est transformé en un horizon illimité où elle s'amuse sans doutes à inventer des histoires inédites.


Kim Yaroshevskaya nait à Moscou le samedi 1er octobre1923 et meurt à Montréal le dimanche12 janvier 2025.

Un battement de cil.

Une traversée de continent pour celle qui aura vu son père arrêté par les sbires du totalitarisme stalinien et sa mère mourir peu après. Elle habitera avec sa grand-mère paternelle jusqu'à ce qu'elle soit réclamée en Amérique, chez ses grands-parents maternels. Elle ne les rejoindra pourtant pas car, à son arrivée, elle apprenait que les États-Unis avaient dépassé leurs quotas de nouvelles immigrations russes! Kim se retrouvera donc chez sa tante Sonia, médecin à Montréal, dans les années '30. Grâce à ce détour imprévu, nous avons eu l'immense joie de connaître Fanfreluche, le personnage qu'elle a inventé et interprété pour nous dans une émission pour enfants du même nom.


Celle-ci fut diffusée de 1968 à 1971, à la télévision de Radio-Canada et pourtant, avec toutes ses reprises, dvd et rediffusions sur le net, il me semble qu'elle a toujours été là, prête à nous ouvrir les grandes pages de ses livres d'histoires. Kim Yaroshevskaya ne faisait pas qu'interpréter le personnage de poupée qu'elle avait inventé, elle était aussi la conceptrice et l'autrice de l'émission. J'oserais même dire que la poupée Fanfreluche constituait l'essence de Kim, ce qu'elle avait de plus beau à offrir.


Mais pourquoi avait-t-elle imaginé une poupée?


En 1954, avec ses ami.e.s d'une troupe de théâtre pour enfants Guy Messier [Fafouin], André Loiseau [Pirate Maboule] et Henriette Major [Gudule, l'horloge grand-mère], ils inventent tous un personnage à interpréter pour un spectacle pour enfants et Kim se demande ce qu'elle souhaiterait :

"Pour penser à mon personnage, je me mets à la place de l'enfant que j'ai été. Quel personnage aimerais-je voir sur scène?

Et tout de suite, je le sais. Je veux voir une poupée. Petite, j'en avais voulu une. Tellement. Mais mes parents croyaient que jouer à la poupée empêchait les petites filles de devenir courageuses et fortes.

Eh bien là, je vais voir sur scène, devant moi, s'accomplir ce désir ardent: je vais voir une poupée. Une poupée qui marche, qui parle... et qui danse, par-dessus le marché!" (Kim Yaroshevskaya, Mon voyage en Amérique, Boréal) De fil en aiguille, le spectacle est devenu émission pour enfants comprenant tous ces personnages puis certains personnages ont eu leur propre émission, dont celui créé par Kim.


Lorsque l'heure du rendez-vous magique avec la poupée Fanfreluche arrivait, une musique résonnait, un papillon ouvrait ses ailes et nous annonçait l'arrivée de notre préférée.



Puis, venait la musique et la voix de Fanfreluche, dans un air qu'elle avait elle-même imaginé. J'étais, comme mes soeurs et comme beaucoup d'enfants de notre âge, envoutée!



Malgré l'annonce d'une "Émission couleur de Radio-Canada", quand j'étais petite, je voyais Fanfreluche en noir et blanc, à travers la télévision que nous avions. Je sais, maintenant, que sa large jupe à crinoline et sa blouse à manches ballons étaient roses, qu'elle portait un corsage de velours bourgogne et un ruban de satin noir en boucle autour du cou. J'adorais voir rebondir sa jupe lorsqu'elle dansait, s'arrêtait brusquement ou se retournait, marquant ainsi les moments forts de l'histoire qu'elle racontait. On pouvait alors admirer la large boucle de velours assortie à son corsage et ses petits souliers noirs à bride. Kim adorait danser et Fanfreluche suivait la cadence.


En y repensant bien, tout le monde l'appelait "Franfreluche", ajoutant à son nom un r affectueux, enfantin, comme un ami me l'a fait remarquer. En ouvrant son livre dont nous ne voyions rien à part le titre, elle inventait un monde nouveau, la possibilité de transformer sa vie. Elle ouvrait son livre et y entrait! Aucun effet spécial informatisé ne pourra jamais rivaliser avec ça! Si elle pouvait entrer dans le livre et changer la teneur de l'histoire, nous pouvions, nous aussi, changer notre histoire. L'injustice révoltait notre poupée préférée et elle osait aller dire au roi le fond de sa pensée. D'ailleurs, une amie m'a confié que grâce à cette capacité de s'insurger contre l'ordre établi, elle avait osé affronter des iniquités à la petite école pour, elle aussi, changer les choses.


Voir Fanfreluche ouvrir son grand livre avec une telle délectation nous offrait les possibilités infinies de la lecture et des histoires. Elle nous aura fait connaître des contes russes traditionnels, elle aura revu des contes des frères Grimm ou d'Andersen, elle en aura inventé aussi pour nous, forte de sa culture et de son imagination immenses.


Espiègle, émotive, ingénieuse, frondeuse, tendre, amicale, indignée ou étourdie, nous la suivions, à toutes les semaines, transformant notre monde en couleurs.


Fanfreluche a captivé des générations. Mes élèves de première année l'adoraient! J'ai eu beau leur présenter maintes fois de suite "Le roi de chocolat" [avec le merveilleux Jean Besré], "Les habits neufs de l'empereur" ou "La princesse, le chevalier, le roi et le perroquet", la répétition de ces contes ne les lassait pas; ils les réclamaient même car eux aussi étaient séduits par l'esprit rebelle de la conteuse. Elle est devenue, elle aussi, un personnage de conte que l'on se répète depuis trois générations et que l'on se répètera encore.


Chère Kim, c'est peut être un peu grâce à toi que j'ai envie de raconter des histoires.

J'espère que tu auras été aimée autant que nous t'avons tous aimée.

Merci d'avoir gardé ton coeur d'enfant et de nous avoir aidé à préserver le nôtre.



 

© Michelle Courchesne, texte.



1 bình luận


labc0202
23 thg 1

Ah chère Fanfreluche qui a enjolivé notre enfance avec sa candeur, sa poésie, sa détermination à redresser les torts pour créer un monde plus juste par le biais des contes dans lesquels elle s’immisçait  en plongeant dans son grand livre. Elle a enchanté notre enfance en même temps qu’elle nous ouvrait les yeux sur la réalité.

Toi aussi chère Michelle tu nous enchante par tes récits pleins de vécu, de réalité et de réflexion

Merci

Thích
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