top of page

Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

La vieille maison

  • michellecourchesne
  • 12 oct.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 18 heures

En écrivant ce titre, je me rends compte qu'un conte d'Andersen que j'adore porte le même. Il y a quelque chose d'attirant pour moi dans les vieilles maisons. Je les visiterais toutes: les boiseries, les vitraux, les plafonds aux ornements de plâtre, les planchers qui craquent! Avec un peu de chance, il reste des traces de ceux et celles qui l'ont toujours habitée: meubles anciens, photos jaunies, babioles de pacotille.


Si j'habite ici, sur ma petite rue près de la voie ferrée, bordée d'arbres qui rougissent, c'est un peu grâce à une vieille maison, la maison de mes grands-parents maternels. Cette toute petite maison abritait deux chambres dans le toit, dont une au travers de laquelle il fallait passer pour aller dans l'autre. En ouvrant une porte en bois, de la cuisine, on accédait à ces chambres par un escalier à la pente abrupte qui geignait de plaisir lorsque nous le montions. La deuxième marche s'ouvrait, intrigante, et sentait les objets gardés là. En montant, à notre droite, une tapisserie installée dans les années quarante décorait le mur. J'aimerais avoir pris une photo des volutes de ses feuilles géantes, vertes et aubergine sur fond mauve cendré. Elles ne perdurent que dans ma mémoire.


Dans la première chambre, au-dessus d'un bureau massif noir, un homme ouvrait sa poitrine des deux mains et nous montrait un coeur rayonnant en penchant la tête. Petite, il me faisait peur: comment pouvait-il faire ça sans se faire mal? Ensuite, j'ai fait le lien avec le Jésus de l'église. Il y trônait aussi un lit en métal peint en vert ou en jaune pâle, je n'arrive plus à en être certaine. Je me souviens cependant du contact froid de ses barreaux ronds. Deux soeurs y dormaient lors des visites aux grands-parents, la troisième avait le privilège de dormir avec leur maman, dans la chambre à la porte fermée. Son mobilier de bois plaqué, lit à dossier rond, commode à miroir et coiffeuse, recélait des trésors que mes petites mains fouillaient en ouvrant les tiroirs sans faire de bruit. Je garde encore certains de ces napperons en lin ou en coton, festonnés de frivolité, brodés de motifs à la candeur surannée, de ces gants trop petits et trop fins qui ont recouvert les mains de ma grand-mère à une époque où elle était une jeune fille à la taille fine et aux mains de madone, de ces rubans, de ces fils, de ces boîtes que j'ose peu ouvrir de peur de les voir s'émietter sous mes doigts. Dans ces chambres, pas de fenêtres en mansarde pour agrandir, seulement une fenêtre en bois entre les pentes du toit avec une ouverture et une plaquette en bois dans le cadre du bas que l'on pouvait soulever pour faire entrer un peu d'air. L'hiver, le givre s'amusait à y dessiner de fantasques forêts.


Jade bleuâtre
Jade bleuâtre

Cette maison sentait les tartes aux pommes, le bouilli aux légumes du jardin, les biscuits à la mélasse, le gâteau des anges et son crémage. Nous n'y entrions pas par la porte principale mais par celle de côté, dans la véranda à moustiquaires. En entrant dans la cuisine, sa pièce la plus grande, nous étions englouties par les bras et la forte poitrine de ma grand-mère Élisabeth qui nous accueillait comme si elle ne voulait plus jamais nous laisser repartir. Si elle vivait maintenant, elle recourrait à une réduction mammaire tant son "buste" pesait lourd sur son dos et sur l'acquisition ou la confection de gaines afin de soutenir le tout. Un bambin du voisinage, venu lui rendre visite avec sa mère, avait dit en touchant son ventre: "Il est dur ton ventre, madame!" Ma grand-mère avait ri de bon coeur en me racontant cette anecdote, elle et moi savions bien qu'il ne s'agissait pas de son ventre mais de sa gaine!


Hydromel
Hydromel

Lorsque nous étions petites ma grand-mère nous berçait dans une chaise placée juste à côté de son vieux poêle, près de l'étroite fenêtre qui donnait directement sur le mur de la maison voisine. Dans ses bras, s'est instillé en moi un amour inconditionnel que j'ai rarement rencontré par la suite. Dans mes temps troubles, j'y retourne. Le rythme régulier de la chaise berçante, transformé en respiration consciente, apaise mes angoisses.


À chaque fois que j'allais visiter ma cousine et grande amie, je passais devant l'ancienne maison de mes grands-parents maternels. Je voyais l'ancienne maison avec son recouvrement d'asphalte gris imitant des briques et le contour de ses fenêtres peint en vert, très typiques des années '40. Ensuite, ma grand-mère a fait recouvrir la maison de parement d'aluminium ou de vinyle, recouvrant le gris et aidant à l'isoler mieux.


Cette semaine, la vieille maison se dépouillait de ses anciennes peaux. J'ai revu celle que je voyais lorsque j'allais visiter ma grand-mère. Un reste de son revêtement d'asphalte apparaissait, comme un signe de la main que ma grand-mère nous faisait toujours en tirant les rideaux lorsque nous partions. Je me suis empressée d'en prendre une photo: même les anciens tours de fenêtre me disaient au revoir. Bientôt, les nouveaux propriétaires recouvriront toute cette maison construite en pièce sur pièce, une technique ancestrale qui utilisait le bois d'oeuvre pour la structure de la maison. Je ne sais pas s'ils sont au courant de cette particularité de la leur. J'espère qu'ils en garderont l'aspect vieillot et qu'ils ne la transformeront pas en pseudo moderne...


Pour ma part, chaque je fois que je passerai devant chez ma grand-mère, je la verrai écarter les rideaux, se pencher un peu pour me dire bonjour. J'y passe souvent car j'habite dorénavant au bout de sa rue...



La maison de mes grands-parents se dévoile.
La maison de mes grands-parents se dévoile.

Tapisserie ancienne, circa 1940
Tapisserie ancienne, circa 1940

© Michelle Courchesne, texte et photo.

Commentaires


Archives
Mots clés
bottom of page