Partir et revenir
- michellecourchesne
- 21 sept.
- 5 min de lecture
Écouter le vent
Les feuilles tremblent
Le changement m'effraie
Le vent a la douceur d'une caresse
Les branches s'agitent de plaisir
La pluie viendra
Nourrir
Apaiser
Guérir
Nul n'aura soif
La réalité se glissera dans les ventres affamés
Nul n'aura faim
La pluie arrive
Cet été, je me suis envolée avec mon amoureux vers une ville située à deux mètres sous le niveau de la mer. Il ne faut pas trop y penser lorsque l'on s'y promène car la présence de l'Afsluitdijk, une digue de 32 kilomètres, empêche l'arrivée de l'eau et laisse, tant à ses habitants qu'à ses visiteurs, la possibilité de profiter de la beauté de cette ville, surnommée la "Venise du nord".
Pour me sentir chez moi à Amsterdam, je me suis amusée à apprendre le néerlandais grâce à une application sur mon téléphone intelligent: "Ik ben een vrouw.": "Je suis une femme." Cette langue, arrière petite fille des langues indo-européennes, petite fille des langues germaniques, est parlée par 25 millions de personnes dans le monde. En comparaison, le français compte 343 millions de locuteurs sur la planète. Fort heureusement, presque tous les amstellodamois parlent anglais, ce qui facilite les échanges. Il reste "Alstublieft.", "Dank je wel." ou "Tot ziens!", soit: "S'il vous plait.", "Merci beaucoup." et "Au revoir!". Tant mieux parce que mes deux mois de pratique de phrases simples ne m'avaient pas offert la possibilité de converser avec les citadins, à peine une base pour comprendre les mots affichés: straat (rue), groente (légume), kaas (fromage), kerk (église), concert gebow (Littéralement: bâtiment de concert, mais une bonne traductrice choisirait: salle de concert).
Apprivoiser une ville où l'on a jamais mis les pieds relève de l'apprentissage d'une nouvelle langue. Même si l'on en connait déjà quelques images tirées des livres ou des sites, il n'y a rien comme appréhender le réel. L'espace prend toute ses dimensions autour de soi. Le murmure de la cité se révèle. Le choc de l'altérité nous heurte alors que nous cherchons à retrouver des familiarités avec notre propre lieu d'appartenance. Ici, on parle comme ça, on mange comme ça, on se déplace comme ça, on sort ses ordures comme ça.
Les premiers contacts avec Amsterdam se déroulent avec facilité car la station de train nous menant à Central Station est située sur le site de l'aéroport. Même sous l'effet du décalage horaire, il suffit de suivre les nombreux panneaux pour se retrouver. Ensuite, nous sommes largués dans les ramifications de la gare centrale dont les panneaux d'informations n'ont rien de familier. À la façon de ceux des aéroports, soudainement leurs lettres changent dans une bruit cliquetant, ce que nous en avions compris vient de disparaître! Nous nous retrouvons à Hilversum, charmante municipalité à 34 kilomètres du centre-ville. Nous avons fait un détour en train de 20 minutes et nous devons retourner à Central Station (un autre 20 minutes) pour reprendre un train qui, cette fois, s'arrêtera à Muiderpoort Station. Nous comprenons notre erreur grâce à un charmant jeune homme qui voyage dans le même compartiment et dont les deux parents d'origine québécoise sont installés en Hollande depuis longtemps (Ça ne s'invente pas!). Il parle français et nous aide à nous retrouver malgré la compote qu'est devenu notre cerveau! Quand enfin nous refermons la porte de l'appartement de la Javastraat, je suis vannée.
Au premier abord, ma perception de la ville se situe dans une bulle comprenant à peine l'appartement où nous séjournons, la rue sur laquelle il est situé et la boulangerie qui est ouverte aux petites heures pour offrir ses croissants aux lève-tôt. Mon café et mon croissant sont mes premiers repères. (Merci! Il y a deux cafetières italiennes dans la petite cuisine dont j'admire le comptoir évier en acier inoxidable!) Notre première journée consistera à retourner à Central Station et à explorer le coeur de la ville sur lequel elle s'ouvre. Les cloches de la Oude Kerk (Vieille église) nous appellent.
Dès le troisième jour, j'agrandis ma bulle un peu plus. Mon amoureux et moi prenons le tramway pour la première fois afin de nous rendre au Rijksmuseum, cet imposant musée qui relate l'histoire de la ville d'Amsterdam à travers l'art, particulièrement celui de Vermeer, Rembrandt et Van Gogh. Le faste de son architecture se dresse dans le Museumplein (Place des Musées) depuis 1885. Circuler à travers ses salles recélant des oeuvres inoubliables m'a étourdie. Heureusement qu'il y avait des bancs pour reposer les visiteuses en pâmoison de ma trempe! Après le musée, nous avons marché dans les rues rythmées de canaux et de ponts, achalandées de touristes colorés et curieux.
Peu à peu, je me familiarise. Nous reprenons les mêmes tramways, repassons devant le Oosterpark dont nous ne verrons finalement que les arbres à travers la grille qui l'entoure, retraversons la rivière Amstel, revoyons à travers la fenêtre sans rideaux la bibliothèque haute de deux étages dans l'appartement moderne à notre gauche à l'aller, à notre droite au retour. À gauche, le moulin, la Operahuis et Waterlooplein. Une journée, alors que l'homme est allé visiter un musée d'architecture, je reste à l'appartement et m'amuse à regarder sur mon cell les appartements à vendre à travers la ville, ma façon de visiter les gens et de voir à quoi ressemble leur quotidien. J'adore cette vie à l'européenne: sur notre rue, et sur plusieurs autour, les commerces de proximité occupent les rez-de-chaussée, le tout à moins d'une minute à pied. Nous avons le choix entre quatre épiceries nord-africaines, deux crèmeries (dont une que nous avons adoptée), plusieurs restaurants, un marchand de meubles design, une librairie, une boutique de décoration et de vêtements, une quincaillerie et j'en passe. Aux balcons ou aux devantures, plusieurs drapeaux arc-en-ciel évoquent l'ouverture des hollandais face aux membres de la communauté LGBTQ+. Mes enfants seraient fier.e.s.
Je deviens amstellodamoise. Je resterais ici, assise au balcon à prendre mon café du matin, à regarder la rue sans signaux d'arrêt où les autos et les bicyclettes circulent dans les deux sens dans une danse pacifique que nulle frustration ne vient troubler. Les bicyclettes, majoritaires, ne prennent pas la place des autos, et vice versa. Il n'y a pas de ligne dans le milieu de la rue pour indiquer où passer. Personne ne vient couper l'autre sans avertissement. Il n'y a que la cohabitation des piétons, des bicyclettes, des voitures et des tramways. Une sensation de paix.
Rijksmuseum, Stedelijk Museum, H'ART Museum, Van Gogh Museum, je suis remplie et étourdie par les oeuvres que j'ai presque touchées (Je sais, c'est interdit, sauf au Musée Van Gogh où une reproduction d'une de ses toiles était placée près de la boutique pour que nous puissions en caresser les reliefs si caractéristiques du peintre.)
Devant la chambre de Vincent, je ne peux que ressentir sa solitude et sa passion. La toile est assez grande pour que j'y entre et m'y promène. J'y ressens la fraîcheur que les volets entrouverts procurent. L'odeur musquée de Vincent y règne malgré le rangement bien fait. Je m'étends sur son lit. Je prends sa veste bleue, la mets sur mes épaules et je m'endors.
© Michelle Courchesne, texte et photos.
Oh Michelle, this is beautiful!!!
Superbe Michelle, un voyage au coeur de ta poésie. Quelque chose qui fait du bien à la douceur de l'âme ... Merci pour ce voyage dans ton univers.🙏