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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

Trois petits tours

Dans la paix bleutée

Jusqu'à cet arbre qui s'ouvre

Le labyrinthe m'a conduite

 

Le recueil "400 femmes artistes", publié par Phaïdon en 2019, biffe d'un large trait rouge le mot "femme" sur le titre de son livre. Est-ce pour faire ressortir le mot "artistes" ou est-ce pour rayer celui de "femmes"?


Geneviève Tremblay (Le Devoir, 14 décembre 2019) résume bien: "Curieux, diront certains, y voyant peut-être une banale erreur d’impression. Mais il n’en est rien : le message est subtilement politique et donne, au passage, toute la mesure du paradoxe qui a construit le livre lui-même. La genèse de 400 femmes artistes, extraordinaire synthèse couvrant 500 ans de créativité féminine, repose en effet sur deux constats : que l’histoire de l’art a consacré un nombre infinitésimal de femmes au fil des siècles et que, malgré ce vaste « oubli », leur désignation comme «femmes » — alors qu’elles sont des artistes au même titre que les hommes — revient finalement, encore aujourd’hui, à les exclure."


Ouf! Quel paradoxe!



Je dois dire que lorsque je regarde le dos de ce livre dans ma bibliothèque, le trait rouge m'horripile. J'aurais laissé de côté cette rayure qui a trop longtemps été placée sur l'oeuvre des artistes femmes.


En ce moment, je lis Judy Chicago, une artiste visuelle américaine qui, à 84 ans reçoit une reconnaissance qu'elle a attendue en vain pendant six décennies de travail artistique: "Through the Flower: Mon combat d'artiste femme", publié par les presses du réel en 2018, traduction de l'édition originale en anglais publiée en 1975. Cette femme hors normes, rendue célèbre par son "Dinner Party" (que j'ai eu le grand plaisir d'admirer lors de son exposition au Musée d'Art contemporain de Montréal, en 1982), relate ses débuts dans le monde de l'art, dans le milieu des années '60, qui est essentiellement un boy's club. Judy Chicago y navigue en passant par l'apprentissage de la peinture automobile, jouant les badass pour se distinguer de la gent féminine des écoles d'art pour laquelle ses collègues masculins n'ont aucune considération autre que leur potentiel de baise. Elle a la chance d'avoir été élevée par une mère danseuse qui l'encourageait à s'exprimer à travers l'art et par un père militant syndicaliste marxiste. Ainsi qu'elle le mentionne dans son livre: "Comme ma mère travaillait, et comme je voyais les femmes participer activement aux débats qui avaient lieu chez nous, j'ai grandi avec l'impression que je pouvais être et faire ce que je voulais." Surtout, elle a grandi avec la conviction que prendre la parole allait de soi et que sa parole importait alors qu'à l'époque les femmes apprenaient à se taire, à se faire belle et à faire valoir.


Quelle chanceuse d'avoir grandi dans cette famille! Même aujourd'hui la pression sociale pousse les femmes vers les ornières du prendre soin, de donner aux autres plus qu'à soi, de s'occuper des buts des autres avant les siens: "[Les femmes] se concentrent surtout en travail de bureau, en sciences infirmières, en enseignement, en soutien à domicile et en garde d'enfants." (Source : Conseil du statut de la femme, Portrait des Québécoises, 2018) De plus: "Malheureusement, les emplois dits féminins sont moins bien rémunérés que ceux dits masculins. En effet, les données démontrent que quel que soit leur niveau d'études, les femmes reçoivent à leur entrée sur le marché du travail, un salaire moyen inférieur à celui des hommes. Cet écart persiste tout au long de leur carrière." (https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/enfance/developpement-des-enfants/consequences-stereotypes-developpement/choix-professionnels)

Qui dira encore que c'est un mythe?


Voulant se distancier d'un environnement dont l'étalon est principalement mâle, Judy Chicago a créé un programme exclusivement pour les femmes, loin du Los Angeles où elle a complété sa formation. Elle souhaitait éloigner ses étudiantes du milieu masculin car les femmes des années '60 se débattent encore avec une forte pression sociale à se conformer à une image de la femme soumise et objet, aux visées de réalisations personnelles limitées, trop souvent, à la mise au monde d'enfants et au soutien d'une famille. Elle croyait que se retrouver entre elles permettrait aux artistes femmes de fonder leur art sur des valeurs qui leurs sont propres. Fascinant!


Comme le disait un slogan de cigarette ciblée pour les femmes dans les années '70: "You've come a long way, baby".



La publicité utilisait ce mouvement du temps pour mettre en banque les gros dollars de la vente de cigarette. Autre époque qui préférait mettre de l'avant le fait de fumer comme forme d'émancipation et taisait le besoin de contraception qui faisait son entrée dans les marchés pharmaceutiques.


J'espère que, comme société, nous avons franchi quelques obstacles depuis, quoique je sache qu'il y ait encore des hommes qui ne comprennent pas encore l'utilité et l'importance du mouvement féministe.

 

Plus près de moi, une amie, Sylvie Cholette, vient de publier, à compte d'autrice, un livre relatant ses années de deuil suite au décès de son conjoint de toujours. Très fébrile et fière, elle nous l'a présenté à la Maison de l'Arbre, à Saint-Venant-de-Paquette. À sa manière toute personnelle, elle a fait alterner musiques apaisantes et mots sincères. La transparence de la transparence dont elle a fait preuve pour nous livrer l'intimité de la douleur et la nécessité de ce voyage que nous aurons toutes et tous à faire un jour: perdre un être cher. Sylvie est bouleversante dans la sincérité et le courage dont elle fait preuve pour se relier à ce qui est le plus essentiel en elle. En me rendant au lancement avec des ami.e.s, nous avons fait un détour pour un plaisir d'enfants: déguster de la crème glacée Coaticook, à même son lieu de fabrication! Une molle trempée dans le chocolat goûte l'enfance. Assis sur un banc nous regardions l'averse tomber pendant qu'un petit rouquin frisé de cinq ans s'amusait avec les gouttes tombant du toit, trop heureux des traces sur son chandail vert. La vie tourne, tourne, tourne.

 

En terminant, j'aimerais vous dire un grand MERCI de répondre à ce rendez-vous quasi hebdomadaire qui me fait du bien. J'aime vous imaginer chez vous, en train de réagir à ces mots qui, je l'espère, savent vous toucher, vous rejoindre. Je prends congé des Mots du dimanche pour la période estivale, pour le farniente, pour les voyages au long cours.


Passez un bel été!


On se revoit en septembre!

 

© Michelle Courchesne, texte


1 Comment


Mathieu Poulin
Mathieu Poulin
Jun 10

Merci Michelle, bonne réflexion et bons commentaires sur la rencontre du Lancement du livre de Sylvie Cholette!👍🫶🎶

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