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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

La nuit s'allonge

En fin d'après-midi, le soleil s'est couché. Paresseux, il a tiré la couette à 16h09. Indécent. Il se cache. Les lumières de Noël s'installent et tentent de palier à l'absence de l'astre numineux.


"Le numineux, dérivé du latin numen, est selon Rudolf Otto [Théologien luthérien allemand, 1869-1937] la puissance agissante de la divinité, un « sentiment de présence absolue, une présence divine ». Il est à la fois mystère et terreur : c’est ce qu’Otto appelle le « mysterium tremendum »." Wikipédia l'encyclopédie libre.


Mystère et terreur. La nuit fait peur. Elle nous cache des choses, sans doute ne voulions-nous pas les voir, de toute façon. Qui marche dans le noir? Qui se cache dans l'ombre? Quel animal fantastique ou bien réel va surgir? La rue, le jardin, le quartier ne se ressemblent plus. Les enfants rentrent de l'école sous les étoiles voilées par les lampadaires. Les vitrines deviennent sources d'émerveillement auxquelles s'agglutinent les passants, attirés par leurs scintillements. Dans les rues, les maisons se parent de leurs décorations de Noël, même si décembre se fait attendre, à la fois par la nécessité d'accrocher le tout avant que les doigts ne gèlent que pour accélérer le symbolique retour de la Lumière. La Lumière qui, enfin, chassera la Noirceur.


Dans ce raccourcissement diurne, j'ai l'impression de me rapetisser, rapetisser le temps productif du jour, jusqu'au jour du 21 décembre, celui du solstice d'hiver, à partir duquel les journées s'allongeront imperceptiblement jusqu'au solstice d'été. Nous sommes donc dans ce moment de ralentissement où tout semble vouloir s'arrêter, s'engourdir, hiberner, préparer sa renaissance dans le secret de la terre. Nous traversons le début de la nuit, la longue nuit d'hiver.


La nuit apporte la somnolence, l'engourdissement qui mèneront au repos. Entre les états de veille et de sommeil, tout peut surgir de ce monde flottant: les idées, les solutions, les compréhensions subites, l'inspiration. J'y puise, pour ma part, un état de grâce, ni éveillée, ni endormie, je visualise le monde, mon monde.


Le temps est comme une balançoire oubliée dans le parc, suspendue dans son élan vers le haut et oubliant de redescendre, figée, glacée. Elle attend le redoux qui reviendra on ne sait quand.


Novembre nous incite à traverser notre propre noirceur. Tiens, qu'y a-t-il dans cette garde-robe poussiéreuse? Les amours oubliées. Les peines enterrées. Les rendez-vous manqués. Les mots de trop. Les détours perdus. Les boussoles déréglées. Avec un soin diligent et une patience de dentellière, novembre nous pousse à entrer dans cette armoire sombre dans laquelle s'amassent nos traîneries négligentes. Le ménage de fin d'automne est intérieur, parfois lourd, nécessaire. Souvent, il se déroule malgré nous, dans l'heure grise, en milieu d'après-midi. Rien ne semble se passer mais l'attente de la neige oeuvre dans le silence.


La visite de ma mère, 87 ans, a coïncidé avec la fin de novembre. Pendant quelque jours, elle a séjourné chez moi, dans ma petite maison rose. Pour l'occasion, j'ai convié sa soeur Monique, 88 ans, son amie d'enfance Pauline, 87 ans, sa petite-cousine Michelle et sa nièce Francine, dans la soixantaine, pour nous réjouir du plaisir d'être ensemble, autour d'un bon repas tout simple: céleri rémoulade et vol-au-vent au poulet accompagnés d'une salade au chou rouge, sans oublier les délicieuses madeleines au citron de ma tante. Délices de tous les jours pour les jours qui s'écourtent.


Le lendemain, ma mère et moi avons mangé les restes, habitude familiale de ne rien perdre, de profiter jusqu'à la dernière goutte de ce qui est offert, rien de pire que de la nourriture que l'on jette, comme une impossibilité de gérer l'abondance, comme une tromperie à ce gaspillage alimentaire incommensurable qui s'effectue de par le monde et dans notre cour.


Ma petite maman s'étonne de vieillir, elle qui n'a jamais paru son âge, toujours plus jeune. Le temps la rattrape. Il nous rattrapera tous, seule justice en ce monde. Alors que nous sommes toutes deux entourées du silence de la saison grise, elle évoque son enfance, passée dans une maison située à deux pas de la mienne, dans cette petite ville alors complètement différente dans ses habitudes, dans sa façon de penser qu'avaient les gens, dans leur façon de voir les rôles de chacune et de chacun de cette époque de la dernière guerre, de l'après-guerre et des années soixante qui ont suivi. Ma mère, intense lionne, a révolutionné plus d'un précepte miteux inculqués pendant son enfance et a ouvert la voie pour les filles et les femmes des générations suivantes, dont moi, bien entendu. Maintenant adoucie par le temps ou par notre tête-à-tête, elle a adopté mon fauteuil à oreilles. Dans le confort de son assise garnie de plumes, elle y a passé ses heures éveillées à lire, à feuilleter des livres d'art ou à papoter avec moi. Temps précieux.


Ma petite maman, 87 ans.

Sa visite m'a rappelé que les saisons de la vie se succèdent, que les quatre directions mènent toutes quelque part, que dans le gris de novembre s'allument des lumières de Noël et que les bons repas sont toujours bons.


Puis, sans crier gare, décembre est arrivé: une bordée neige nous a apporté sa blancheur, une façon de nous redonner de la Lumière; les volées d'oies sauvages se sont égosillées de plus belle: partirons-nous ou resterons-nous? L'hiver est en chamaille*...


Il ne nous reste plus qu'à sortir les pelles et à vite courir jusqu'à Noël!



Le deuxième mouvement des Quatre Saisons, d'Antonio Vivaldi, une musique qui évoque le temps suspendu de novembre, jouée par le Cleveland Baroque Orchestra, avec Jeannette Sorrell, directrice artistique au clavecin:



 

*(Merci Jean-Pierre Ferland!)

© Michelle Courchesne texte et photos.



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