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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

Les maux du mardi *

Une chance sur deux

Pile ou face

Noir ou blanc

Bleu ou rouge

Gauche ou droite

Espoir

Attente

Déséquilibre fragile

Un battement d'aile pourrait-il faire pencher la balance?

 
Il flotte malgré tout.

J'y croyais, je voyais Harris au pouvoir et ne comprenais pas que l'on titre trop souvent: "Trump ou Harris?". Je crois qu'il aurait fallu utiliser l'ordre alphabétique pour rester dans la neutralité: "Harris ou Trump?"; le premier qui est nommé étant donné gagnant dans l'imaginaire collectif parce que le premier est le premier (dans la série des grandes évidences...). Pour conjurer le sort, j'entourais au stylo bille le nom de Harris sur tous les journaux que je croisais. Oui, le bien triompherait!


Je voyais le jour approcher. Plus que 24 jours avant les élections américaines, plus que 11, plus que 5... Ils étaient si proches dans les sondages, le bon sens allait l'emporter, quelle personne sensée pouvait donner le pouvoir à cet homme faisant face à 34 chefs d'accusations? Est-ce qu'on peut donner le pouvoir à quelqu'un qui n'a pas honte d'affirmer: "Grab 'em by the pussy." [Pognez-les par la plotte.]; à un intimidateur qui déclare qu'il n'allait pas accepter les résultats s'ils n'allaient pas dans le sens de son élection? Ses mots, son attitude faisaient planer une menace sur cet immense pays: une guerre civile? N'avait-il pas encouragé l'assaut du Capitole du 6 janvier 2021 au cours duquel cinq personnes ont perdu la vie? Il instillait la peur, la meilleure façon de court-circuiter les fonctions cognitive du cerveau vers le mode survie avec sa personne et son parti comme meilleure protection contre la Peur. Peur de la violence, peur de l'autre, peur de la pauvreté, peur de se sentir inférieur, peur d'être dirigé.e.s par une femme, noire qui plus est. De tout coeur avec les américain.e.s, j'avais, j'ai peur.


Dans la soirée de mardi, j'ai suivi à moitié les commentaires à la télé. Patrice Roy et ses collaborateur.trices s'efforçaient de présenter les chemins vers la présidence de l'une et de l'autre des candidats. Je retenais mon souffle, littéralement. Il s'agissait, comme à chaque fois, des états clés: "selon les combinaisons, un candidat devra minimalement remporter 3 ou 4 États clés pour franchir la ligne d’arrivée avec au moins 270 grands électeurs." (Radio-Canada, Les chemins de la victoire : comment Harris ou Trump peuvent gagner en huit scénarios: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2110920/chemins-harris-trump-presidence-etats-unis)


La carte interactive semblait tellement rouge dans l'attente du dévoilement de ces états clés! Même s'il était encore possible, au début de la soirée, d'espérer une victoire de Kamala Harris, les commentaires continus ne faisaient qu'aggraver l'anxiété qui m'habitait. J'alternais entre des émissions de divertissement et cette réalité par trop crue. Je me suis couchée, sans connaître l'issue, le temps du dépouillement des bureaux de vote s'étirant ad nauseam.


Je n'ai pas placé d'alarme sur mon cadran. Au réveil, je me sentais fraiche et dispose, prête à accueillir la victoire d'une première femme noire à la présidence des États-Unis. Un choc brutal a remplacé mon court enthousiasme: le macho de première était élu, par un mince pourcentage: 226 grands électeurs (47,6% des voix) pour Harris, 295 grands électeurs (50,9% des voix) pour son adversaire, une différence de 3 points d'écart. Je me suis mise à faire défiler les commentaires sur FB: de la noirceur, de la douleur, de la colère. Rob Brezny, américain qui a longtemps publié une chronique astrologique des plus divertissantes et inspirantes dans l'hebdomadaire montréalais Hour, a dit: "Americans have elected a misogynist, fascist, bigoted, senile, theocratic felon as president, and I am in shock and grief." [Les américains ont élu comme président un criminel misogyne, fasciste, fanatique, sénile, théocratique et je suis sous le choc et affligé.] Il faut bien appeler un chat, un chat. Merci Rob!


Déroulant à l'infini le désarroi ambiant, ma journée de mercredi a flotté dans un découragement, une perte d'espoir, une déception face au genre humain. Je suis restée au lit, grignotant ce qui me tombait sous la main, abasourdie. J'ai flotté sur mon radeau en souhaitant ne jamais descendre du confort de ma douillette bourrée de plumes. Dans sa chaleur, l'absurdité du monde ne pouvait pas m'atteindre. Pourtant, certaines âmes lumineuses lançaient de l'espoir. Clarissa Pinkola Estes qui m'inspire comme personne, écrivait, suite à cette issue horrifiante:

"Tonight I wanted to take your dear manitas, your dear hands, and say Hold to your peace. Keep to your Calm, Bright Heart: let no one and nothing stand between you and your constant Sun of Greater.

Let no person or thing darken your Light, your inextinguishable Love for so much, your dedication to personal decency, and your actions and prayers toward true freedom for our clans, our tribes, for our worlds." [Ce soir, je voulais prendre vos chères manitas, vos chères mains, et dire de Maintenir votre paix. Garder votre Coeur Calme et Lumineux: ne laissez ni rien ni personne se placer entre vous et votre Soleil du Grand. Ne laissez ni rien ni personne assombrir votre Lumière, votre Amour inextinguible pour tant de choses, votre engagement à la dignité personnelle, et vos actes et prières vers la liberté véritable pour nos clans, nos tribus, pour nos mondes.]


Alors, j'ai repoussé la couette avec ma jambe, je me suis levée, j'ai ouvert la douche, un pas pour retrouver mon humanité disparue avec les nouvelles internationales. Habillée, propre de ma personne, je mangeais alors que j'ai eu la visite d'André, mon oncle un peu shaman/fakir/hurluberlu/sage. Le réel reprend sa place, repousse la peur de sa présence réconfortante. Les gestes du quotidien redonnent du sens à la vie: ouvrir la porte, offrir un breuvage, parler de tout, de rien, dire au revoir, sortir dehors, sentir la douceur de cette journée d'automne, mettre son manteau, sortir prendre une marche, croiser une arrière-petite-cousine, prendre du temps chez elle, parler de tout et de rien, sentir la douceur de l'air, me bercer sur sa terrasse, repartir, marcher, rentrer chez moi, m'assoir, méditer, retrouver le silence, ouvrir les yeux. La vie.


Rob Brezny ne termine pas son message sur les mots crus pour nommer la réalité de cette élection, il poursuit en ravivant l'espoir, cette lumière précieuse à entretenir:

"Not today, but soon, I will rise up and join all of you to mitigate the damage and redouble our efforts to create a gorgeous new world.

Let's be inspired by this traumatic tragedy to deepen our commitment to each other as we renew our crusade on behalf of beauty, truth, justice, and love." [Pas aujourd'hui, mais bientôt, je me lèverai et vous rejoindrai tous pour limiter les dégâts et pour redoubler nos efforts afin de créer un nouveau monde magnifique. Inspirons-nous de cette tragédie traumatisante pour approfondir notre engagement les uns envers les autres alors que nous renouvelons notre quête au nom de la beauté, de la vérité, de la justice et de l'amour.]


Pour mes enfants, pour leur génération, pour ma propre décence en tant qu'être humain, je veux garder le cap sur la Beauté. Je ferai les gestes simples qui maintiennent ma dignité.


J'ose espérer que vous ferez de même.


Il ne reste que les fruits.
 

© Michelle Courchesne, texte, photo et traductions libres. Photo du drapeau américain: Wix, photo de l'arbre: M.C.

*Merci à Jean-François de Yamaska Café, Épicerie fine, pour la suggestion de titre.

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