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Les mots du dimanche

Par Michelle Courchesne

Renaître

Le printemps s'amuse à nous jouer des tours. La neige revient pour un dernier clin d'oeil pendant que les bulbes sortent de terre, mus par une force bouleversante. Le sommeil prend fin. La beauté réclame son dû. Pourtant, elle nous leurre, nous fait croire qu'elle sera éternelle.



J'aime ce renouveau.

J'attends les narcisses, les tulipes, le muguet.

Je m'émeus lorsque les crocus mettent le nez dehors, discrets, lumineux, joyeux.

Le lilas attend son heure et le cardinal rouge lance l'air du troisième acte dans l'arbre derrière chez moi. Les canards passent, méthodiquement alignés, disciplinés, hâtifs, pressés de se poser.


À travers cette saison de l'égalité du jour et de la nuit, le temps est suspendu, pour un jour, comme la balançoire qui a atteint son élan le plus haut et qui s'immobilise, soupire, puis repart vers le bas pour mieux remonter encore, vers l'autre tour de la Terre.


Mon amie passionnée des astres mentionnerait l'éclipse totale de soleil qui suivra une trajectoire au-dessus des Grands Lacs Érié et Ontario, puis sur le sud du Québec demain, le 8 avril, et qui sera visible, si le temps le permet.


Un évènement astronomique qui ne court pas les rues. La prochaine fois que nous pourrons mettre nos lunettes spéciales répondant à la norme de sécurité ISO 12312-2, pour contempler un pareil spectacle, sera dans 24 ans, mais il faudra se rendre au Chili ou en Patagonie pour y assister.


En 2048, mes enfants seront à la mi-temps et moi je ne serai pas loin de l'autre côté du miroir.


L'évènement rare c'est la minute précieuse qui est offerte, à travers toute la souffrance du monde, un arrêt pour honorer les sept collaborateurs de l’ONG humanitaire World Central Kitchen, tués dans l'exercice de leurs fonctions, pris au piège dans la camionnette les transportant, pourtant bien identifiée à l'effigie du WCK, par un drône qui a fait "une grave erreur", selon le chef de l’état-major israélien Herzi Halevi (Le Devoir).


Une grave erreur.


Croire à la beauté, croire à la bonté, malgré la cupidité et l'aveuglement. Quand la douleur du monde gronde, je me rappelle ces mots de Jean Cocteau, qui m'avaient tant touchée lorsque je les avais lus pour la première fois et qui sont restés dans ma mémoire, comme un baume:


"Même le soleil a des taches. Votre cœur n’en a pas. Chaque jour vous me donnez ce spectacle : votre surprise d’apprendre que le mal existe."

Jean Cocteau, dans une dédicace de son livre Opium à son amoureux Jean Desbordes


Le soleil a des taches et, demain, il s'éclipse, histoire de nous faire saisir le don de sa présence bienfaisante.


Dans ce printemps qui arrive avec son renouveau et ses absurdités, j'ai cherché une version des Saisons de Vivaldi. J'ai découvert Nemanja Radulovic (prononcer [Némanya])! Ce violoniste franco-serbe qui a connu la guerre évoque avec fougue la solidarité et la résilience. Contagieux. En faisant de la recherche sur lui, j'ai appris qu'il vient tout juste de passer par Montréal, à la Maison symphonique, pour jouer Holst, Khatchaturian et Zemlinsky. J'espère qu'il repassera plus vite que la prochaine éclipse solaire totale!


Bonne écoute!




 

© Michelle Courchesne, texte et photo

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